Manuel Soto Loreto (1878-1933), Manuel Torre est né dans le quartier de San Miguel à Jerez de la Frontera. Parfois surnommé “El Majareta” (“le fou”), figure mythique du chanteur ivre, enivrant et imprévisible, il laisse son empreinte indélébile sur le cante flamenco, notamment sur les Seguiriyas et les Tarantos.
Pour une oreille peu entraînée, Manuel Torre n'est pas facile d'accès. Son chant est ambigü, pleuré, mais aussi - à mon avis - humoristique et noir. Il suffit d'écouter sa version séminale de "Los Campanilleros" : elle me fait penser aux vieux blues de Robert Johnson ou de Skip James, où il est difficile de dégager une émotion claire, qu'elle soit joyeuse ou triste.
Cette étrangeté est ce qui rend les Seguiriyas de Manuel Torre aussi fondamentales. La Seguiriya est souvent considérée comme le palo triste par excellence - et c'est vrai : elle descend sans doute des chants de pleureuses, et ses paroles expriment systématiquement le fatalisme, l'oppression, l'aliénation. Cependant, ce qui fait la beauté des Seguiriyas de Torre, c'est qu'elles ne sont pas du pur cri. Torre joue de sa voix comme un jongleur, il la tire constamment vers le bas, il fréquente les quarts-de-ton dissonants :
Te fuiste de mi vera
Sin apelación
Ahora te veo hincadita de rodillas
Pidiendome perdón
On retrouve cette même virtuosité noire dans les célèbres Tarantos de Manuel Torre :
Ay, mis muchachos
Ay, hace tres días que yo no los veo
Dime a donde adarán mis muchachos
Estarán bebiendo vino
O andarán por allí borrachos
Ay, o una mujer me los habrá comprometido
Personnellement, je trouve que cette ambiguïté émotionnelle est très similaire à celle qui se dégage du célèbre Love In Vain de Robert Johnson ou encore de Devil Got My Woman de Skip James.
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